vendredi 19 novembre 2010

Old School et bourrinisme: le grand malentendu


J'aimerais dissiper une fois pour toute un malentendu au sujet des jeux old school. On leur reproche souvent d'être des jeux de bourrins centrés presque exclusivement sur le combat. Preuve à l'appui: ils ne mentionnent souvent qu'un système de combat (pas de compétences générales, de règles d'interaction entre PJ et PNJ etc.).

Historiquement, il y a sans doute une part de vérité. Je pense que les tous premiers joueurs de D&D passaient la majeure partie de leur temps dans les donjons. Mais le jeu a sans doute évolué beaucoup plus vite qu'on ne veut le dire.

Tout d'abord, il est faux de penser que D&D encourage à tuer sans discernement: un personnage gagne bien plus d'expérience en trouvant des trésors qu'en tuant les monstres. Moralité: la stratégie la plus "payante" est souvent d'éviter le combat pour s'emparer directement du trésor (d'autant plus que se soigner peut coûter très cher). Contrairement à ce qu'en ont fait nombre de joueurs, D&D est plus un jeu de filous que de brutes (et c'est la raison pour laquelle un personnage comme le voleur est parfaitement viable en dépit de ses piètres talents de combattant).

D'autre part, on voit très vite évoluer le jeu: dès 1978 (AD&D) et 1981 (Expert Rules), le jeu sort des donjons pour s'intéresser à l'après: création et gestion de domaines ou de guildes, voyage dans d'autres plans d'existence etc. Les campagnes de l'époque sont révélatrices: Arduin, Blackmoor ou Greyhawk sont des projets nettement plus ambitieux qui commencent à décrire des mondes entiers.

On peut s'étonner aujourd'hui du fait que cette explosion de créativité ait pu se produire en partant d'un corpus de règle apparemment centré sur le combat. Mais c'est beaucoup moins surprenant qu'il n'y paraît. Le jeu de rôle est né du Wargame dont il reprend initialement les mécanismes (ceux d'une variante du jeu Chainmail, pour être plus précis). Il mettra un certain temps à s'éloigner de son auguste aîné et, dans l'esprit des premiers joueurs, les deux activités sont complémentaires.

Ainsi peut-on expliquer l'énumération des forces militaires en présence tant dans le livret de Greyhawk que dans la First Fantasy Campaign d'Arneson (Judge Guild, 1977) ou dans les livres d'armées de Tekumel. On retrouvera cette parenté dans la première mouture de Chivalry & Sorcery en 1977. Suivant cet illustre exemple, plusieurs éditeurs de JDR créeront des Wargames compatibles avec leurs jeux de rôles. C'est le cas de ICE (War law), de TSR (Battle System). On trouvera également La guerre des Héros (dans l'univers de Glorantha) ou Greyhawk Wars (dans celui de Greyhawk). Ajoutons-y en France le fameux Ave Tenebrae de F.M. Froideval. Certains jeux forment même d'étranges compromis entre JDR et jeux de stratégie. C'est le cas de Nil en France ou de Hidden Kingdom par exemple.

Ce lien entre JDR et Wargame a influencé les débuts de notre hobby. Ainsi, Tekumel et Greyhawk (deux des tous premiers univers) voient leur Histoire façonnée par les grandes batailles qui sont livrées dans le cadre du jeu par des armées à la tête desquelles on trouve les principaux PJs de la campagne (ceux de l'équipe du MJ créateur de l'univers, qu'il s'agisse de G. Gygax ou de M.A.R. Barker). On est donc loin de la simple "chasse au monstre" à laquelle certains voudraient réduire le jeu Old School.

"Alors pourquoi ces jeux ne présentent-ils qu'un simple système de combat?" répondront les sceptiques. "Pourquoi ne pas avoir introduit de compétences plus générales?" Gary Gygax lui-même a répondu à cette question sur le forum de Dragonsfoot: "The name of the game is roleplaying, not ruleplaying. the Game master is there to handle all the thousands of situations where rules are UNNECESSARY. Knowledge, logic, reason, and common sense serve better than a dozen rule books."

On pourrait considérer cette affirmation comme une justification a posteriori (après tout, Gygax lui-même n'a pas tenu compte de cette remarque lors de l'écriture de Danjerous Journeys et de Lejendary Adventures). Elle n'en reste pas moins vraie. J'en veux pour preuve le fait que le combat est le seul aspect du JDR que les jeux "diceless" ont du mal à traiter. Ambre Theatrix ou Everway parviennent sans mal à simuler 99% des actions des Pjs. Mais le combat se prête mal à un tel traitement: pour fournir le nécessaire frisson d'angoisse, il faut de l'aléatoire, de l'imprévisible. C'est aussi la seule façon d'éviter que le MJ décrète de façon unilatérale la mort ou la survie du PJ.

Le reste est parfaitement gérable sous forme de role-play dès lors que le MJ et le joueur ont une vision suffisamment précise des capacités du personnage. Or cette vision claire et précise est justement facilitée par l'existence des classes de personnages, ces archétypes qui permettent de définir de façon presque instinctive ce dont un personnage est capable ou non. Le reste est affaire de background. En cas de doute, il reste toujours la possibilié d'effectuer un simple jet sous une caractéristique.

En réalité, par bien des aspects, ce sont les incarnations les plus récentes de D&D qui tendent à minimiser le role-play et le story-telling au profit de mécaniques froides et sans âme. Trop souvent, des scènes d'anthologie sont perdues au profit d'un simple jet de compétence. Convaincre un garde de laisser entrer le groupe dans une ville devrait être l'occasion de planter un PNJ intéressant, d'en apprendre plus sur ladite ville, de tester le sens de la répartie des joueurs et non se résumer à un jet d'éloquence ou de barratin.

Accessoirement, la montée en puissance des compétences a diminué l'impact des caractéristiques qui avaient le mérite d'offrir un portrait simple et complet du personnage. Car dans le cas de figure précédent, que signifient un 17 en charisme ou en intelligence si le PJ a négligé de prendre la compétences "éloquence"? Or je ne suis pas certain que c'est en remplaçant une caractéristique par 5 ou 6 compétences que l'on améliorera la qualité de la narration ou l'impression d'immersion. Au contraire, plus de mécaniques équivaut souvent à moins de fluidité et à moins de role-play.

Bien sûr, cette remarque n'est valable que pour les jeux à classe. Dans le cas où les personnages ne sont définis que par l'ensemble de leurs compétences, il est évidemment impossible de se dispenser desdites compétences. Et je ne débats pas ici des mérites comparés des jeux à classes et des jeux à compétences. Je ne fais qu'expliquer en quoi D&D n'avait pas besoin de compétences. Il n'est donc pas étonnant qu'elles soient demeurées optionelles dans AD&D2 tout comme dans la Rules Cyclopedia.

Ainsi, loin de se cantonner au hack & slash auquel on le réduit trop souvent, le jeu old school privilégiait le role-play au détriment du roll-play. J'en veux d'ailleurs pour preuve le fait que le système de combat lui-même n'est pas assez détaillé pour constituer réellement le centre du jeu: le round de 1 minute et le système THAC/AC forment un canevas bien trop lâche et imprécis pour offrir des choix tactiques qui rendraient les combats intrinsèquement captivants. On est très loin des placements stratégiques, des attaques d'opportunité ou des modificateurs de position de la 3ème édition. Et je ne parle pas de la 4ème qui a transformé le système de combat en un superbe jeu de stratégie avec figurines.

En fait, réduire le old school au PMT (porte/monstre/trésor) et au hack & slash constitue un contresens historique. Si le jeu a effectivement commencé dans les profondeurs obscures des donjons, il s'en est très vite abstrait pour couvrir un champ beaucoup plus large. Et il n'y a rien de surprenant à ce que les premiers mondes créés pour accueillir des campagnes de JDR soient si riches. Combien de créations ultérieures peuvent se targuer de posséder la richesse et la cohérence de Greyhawk, Blackmoor, Tekumel, Arduin ou Glorantha?

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